L'élevage, une affaire de style, mais pas seulement !
Vous avez certainement déjà entendu, dans la bouche de votre caviste, ou d’un vigneron, des remarques portant sur « l’élevage » de certaines cuvées. Que ce soit en fut, en foudre, en muids, demi muids ou en cuve, le choix du contenant peut sur de multiples aspects se révéler d’une importance aussi fondamentale que le contenu. En effet, tous les moûts (le jus résultant de la presse des raisins) ne conviennent pas, par exemple, à l’élevage en barriques, qui demeure aujourd’hui le contenant le plus connu du grand public et des amateurs. Ainsi, comme la conduite de la vigne, le choix du temps d’élevage et du contenant relève du choix du vigneron et du style qu’il souhaite imprimer à son vin. De la fin de la fermentation alcoolique et parfois malolactique, (procédé consistant à transformer l’acide malique en acide lactique, il contribue à faire baisser l’acidité du vin à la suite de la fermentation alcoolique) à la mise en bouteille, le moût va donc passer d’un caractère brut et primaire à jus prêt à boire. Si la réputation du fut et de son rôle dans l’élevage des vins n’est plus à faire, et a contribué à donner à certaines appellations leurs lettres de noblesse le choix d’élever son vin en barrique implique au préalable une grande qualité de la récolte, un bon terroir, et une matière qui avant d’être proposée au dégustateur, doit s’assagir et s’affiner, à la manière d’un grand fromage. Attention néanmoins à ce que le passage « sous bois » ne marque pas trop le moût, au risque parfois de lui donner des notes fumées ou boisées, ou même vanillées s’il s’agit de contenant en bois neuf, que de nombreux vignerons estiment ne convenir qu’aux grands terroirs, aux rendements sévères et aux vins de grande garde. En effet, plus le contenant est réduit en volume, plus il est susceptible d’imprimer sa saveur au vin qu’il contient. Ainsi certains vignerons, estimant devoir tempérer l’ardeur de certaines de leurs cuvées dans leur jeunesse, optent pour des contenants plus grands, telles des foudres (contenant de 1000 litres) muids ou demi-muids (entre 500 et 650 litres).
En effet, ces grands contenants, seront moins susceptibles d’apporter une marque aromatique et gustative au vin que la fameuse barrique (de 225 ou 228 litres, plus réduite). C’est cet assagissement du jus, de sa structure tanique, parfois sévère dans la prime jeunesse, couplé à une aération légère mais régulière qui va contribuer à faire évoluer le vin et restituer les apports des grands terroirs ; gare donc à ne pas les masquer par un choix d’élevage trop exubérant ! A ce titre l’élevage sous-bois, couplé à des vins puissants et concentrés à longtemps constitué une option de choix dans le vignoble Bordelais notamment, mais aussi dans beaucoup de vignobles du nouveau monde. Très répandue à partir du début des années 80, cette orientation a eu plus récemment très mauvaise presse. La tendance générale actuelle, en demande de vin plus « digestes » et « sur le fruit » a tôt fait d’amalgamer la notion d’élevage avec la notion de boisé, à proscrire des palais contemporains. Attention néanmoins à ne pas « jeter le bébé avec le mout » !Un élevage ajusté à vocation à sublimer le vin, pas à le dissimuler ou le maquiller.
D’autres modes d’élevage sont également employés de manière régulière, dans des contenants de volumes extrêmement variés et aux matières qui le sont tout autant. Ainsi le grès, l’inox, le béton ou le verre ou même plus récemment (si l’on ose dire !) l’amphore sont autant de matières qui présentent des caractéristiques variées, avec cette fois la particularité, à l’exception de l’amphore ici, de préserver au maximum le vin d’éléments externes au contenant (l’oxygène extérieur) ou qui lui sont spécifiques, (comme les tanins du bois par exemple). Ces modes d’élevages dits « réducteurs » (où l’on choisit délibérément de priver en oxygène l’environnement dans lequel est contenu le vin) ont davantage vocation à préserver les caractéristiques originelles du mout (son caractère « fruité » par exemple), et le préserve d’un vieillissement anticipé, qui contribuerait à le fatiguer. A l’opposé, un élevage dit « oxydatif » fait lui le pari qu’un vin mis au contact de l’oxygène, bien que de manière limitée et strictement contrôlée lui permettant de de développer des saveurs et des caractéristiques spécifiquement recherchées. Sans élevage oxydatif donc, point de vin Jaune dans le Jura, et encore moins de vins doux naturels, comme ceux de Maury ou Banyuls !
On le voit, le choix de l’élevage est constitutif d’une recherche gustative spécifique mais a vocation également à imprimer un style, qu’il soit propre au vigneron ou à une appellation spécifique, de quelques jours à quelques semaines dans les contenants neutres pour les vins dits « primeurs » à plusieurs mois ou années dans les grands terroirs Bourguignons, Languedociens ou Bordelais, il y a en pour tous les palais, à condition de s’y pencher, et de gouter !